Dans une salle comble au Grace Children Hospital, à Delmas 31, environ 80 directeurs d’écoles, enseignants et cadres du Ministère de l’Éducation Nationale et ceux de la Santé Publique et de la Population ont participé, le samedi 14 décembre 2024, à un atelier de sensibilisation sur la santé sexuelle et reproductive (SSR), le VIH, la tuberculose, le paludisme, les droits humains et les violences basées sur le genre (VBG). L’initiative est de l’Alliance pour la Survie et le Développement de l’Enfant/Konesans Fanmi se Lespwa Timoun (ASDE/KF) dans le cadre des activités du Community Lead Monitoring (CLM). Elle a bénéficié un soutien du Fonds Mondial de Lutte contre le VIH, tuberculose et malaria, du Programme commun des Nations-Unies sur le Sida (ONUSIDA), du Programme National de Lutte contre le SIDA (PNLS), et du Rotary Club de Juvénat. Objectif : mobiliser le secteur éducatif pour répondre aux problématiques qui touchent la jeunesse haïtienne.
« Nous devons agir vite et ensemble ! » a lancé d’entrée de jeu Marie Antoinette Toureau, directrice exécutive de Konesans Fanmi. Dans son discours d’ouverture, Madame Toureau a dressé un tableau sombre de la réalité en Haïti : grossesses précoces, violences sexuelles et faible prévention des IST. « L’éducation à la sexualité est la clé pour éviter ces drames », a-t-elle déclaré, appelant à l’intégration urgente de ces thématiques dans le cursus scolaire haïtien, dès le niveau fondamental.
La situation en chiffres
Selon le rapport 2019 du PNLS, les adolescents et jeunes de 15 à 24 ans représentent 29,5 % de la population haïtienne, soit environ 3,2 millions de personnes. Leur situation sanitaire constitue une préoccupation majeure. Dans ce groupe, les grossesses précoces et non désirées sont fréquentes. Ce rapport révèle que 10 % des jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans ont déjà commencé leur vie procréative, alors que le taux d’utilisation des méthodes contraceptives reste faible, à seulement 34 %. Cette situation contribue largement à un nombre élevé de grossesses non désirées et à des pratiques d’avortement, estimées à 30 %, selon le dernier rapport EMMUS VI (Enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services), publié en 2028.
En ce qui concerne la lutte contre le VIH/SIDA, la situation demeure préoccupante malgré les efforts en matière de prévention et de traitement. Avec une prévalence nationale estimée à 2 %, les nouvelles infections à VIH chez les jeunes femmes de 15 à 24 ans restent élevées, atteignant 1,1 %, contre 0,9 % chez les jeunes hommes, malgré une connaissance du VIH évaluée à 38 % chez les jeunes femmes et 36 % chez les jeunes hommes.
Un autre aspect inquiétant est le phénomène des violences sexuelles et basées sur le genre (VSBG). L’EMMUS VI estime que 28 % des femmes âgées de 15 à 49 ans ont été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie. Ce chiffre a augmenté ces dernières années, aggravé par l’insécurité dans le pays, en particulier dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. En 2024, le nombre de victimes de violences basées sur le genre a quintuplé, passant de 250 en janvier à 1 543 en mars.
Une mobilisation attendue dans les écoles
Dr Steve Smith, responsable des services de prévention au PNLS, a réaffirmé le rôle central des enseignants dans la lutte contre le VIH et la tuberculose. « Le secteur éducatif a le pouvoir de transformer des vies en inculquant les bonnes pratiques », a-t-il souligné. Dr Smith a notamment insisté sur l’importance d’une utilisation correcte des préservatifs et sur des stratégies préventives comme la PrEP, encore sous-utilisée en Haïti.
Dans un discours énergique, le directeur pays de l’ONUSIDA, Dr Christian Mouala, a mis l’accent sur l’urgence d’agir. « Il est temps que l’éducation devienne un pilier dans la lutte contre le VIH et les violences basées sur le genre », a-t-il affirmé. Selon lui, les comportements à risque des jeunes sont souvent liés à un manque criant d’information.
De son côté, le président du Rotary Club de Juvénat, Dr Harry Junior Beauvais, facilitateur de cette journée d’information et de sensibilisation, a captivé l’audience avec une présentation interactive sur les liens entre VIH, tuberculose et violences basées sur le genre. « Ces problèmes ne sont pas isolés, ils sont interconnectés », a-t-il expliqué, en détaillant les conséquences des grossesses précoces, comme l’abandon scolaire et l’exploitation sexuelle.
La sensibilisation des élèves : une priorité
Quelques jours après l’atelier, soit le jeudi 19 décembre, une session de sensibilisation a réuni 200 élèves des classes NS1 à NS4. Les conférences sur les IST, le VIH/SIDA et les violences basées sur le genre ont donné lieu à des échanges interactifs. « J’ai appris comment me protéger et aider mes amis », a déclaré une élève de NS3. Pour elle, ces activités visent à créer une nouvelle génération plus consciente et engagée.
Et après ?
Cet atelier marque le début d’une campagne ambitieuse pour transformer les écoles en véritables bastions de prévention et d’éducation. Konesans Fanmi prévoit d’étendre ces ateliers à d’autres régions et de renforcer les capacités des enseignants grâce à des formations continues. Un réseau d’écoles partenaires engagé dans la promotion de la santé sexuelle et reproductive (SSR), la prévention du VIH et les grossesses précoces est ainsi constitué. Il servira de levier dans la dynamique de plaidoirie pour l’intégration formelle de la santé sexuelle et reproductive dans les programmes scolaires. Et c’est dans ce cadre, que Konesans Fanmi se propose de poursuivre la mobilisation du secteur éducatif déjà entamée, en vue d’actions de plaidoyer auprès des décideurs concernés.
Louiny FONTAL,
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