Haïti : Quand les rêves s'écroulent sous les cendres de la violence
- Odelpa
- 7 avr.
- 3 min de lecture

« Ils sont entrés comme une tornade : j'étais chef d’entreprise. Le lendemain, je suis devenu un paria, pieds nus dans un quartier étranger », ces mots de Jude, 23 ans, résonnent comme un cri étouffé, l'écho d'une génération sacrifiée. Son histoire, brute et poignante, est celle d'une ascension fulgurante brisée par la violence des gangs qui ravagent Haïti.
De l'éclat à l'ombre
Né en 1999 à Rozo (Grand’Anse), Jude avait tracé son chemin à la force de sa volonté. Issu de la génération 2000 souvent stigmatisée, il avait pourtant prouvé que la détermination pouvait briser les stéréotypes. Depuis 2020, ses salons de beauté étaient devenus un symbole d'espoir pour son quartier à Nazon, précisément à la rue Jean Price Mars, au sein de la commune de Port-au-Prince, employant près d’une dizaine de jeunes. « J'avais même ouvert un deuxième salon, car j'avais beaucoup de clients. Ces entreprises créaient des emplois pour des jeunes autour de moi », se souvient-il, la voix empreinte de nostalgie.
En septembre 2024, un assaut des groupes armés a tout emporté. « Ils ont saccagé mes entreprises et volé mon avenir », raconte-t-il, les yeux noyés de larmes. Avant cette descente aux enfers, Jude était également étudiant en sciences comptables, un rêve d'avenir interrompu brutalement par l'insécurité grandissante. Il a dû fermer son dossier, sacrifiant ainsi une autre part de son lendemain.
Une Vie Dépossédée : L'Exil Intérieur
Contraint de fuir, Jude décrit une réalité d'exilé où chaque jour est une lutte pour la survie. Il est parti avec quelques habits, un petit tambour, laissant derrière lui tous ses biens : livres, ordinateur, les outils de son travail, pour ne citer que ceux-là. De plus, il avait également un appartement familial en location, un patrimoine d’une valeur estimant à 695 000 gourdes, une autre source de revenus, qu’il comptait chaque année. « J’avais des carnets remplis d’idées et de projets. Maintenant, je n’ai plus rien », confie-t-il.
Autrefois, il gérait ses entreprises florissantes. Aujourd’hui, il est dépourvu d’argent, ses mains sont vides, il est condamné à l'inactivité. Ses parents étant à Jérémie, il vivait avec sa sœur, maintenant il s’est réfugié chez sa grand-mère, à Delmas, où il est entassé dans une pièce de 12 mètres carrés avec quelques membres de sa famille, luttant contre l'humiliation et le désespoir. « Chez moi, j’avais une chambre à moi seul. Ici, je suis confronté à des fous rires au quotidien, des disputes, des jeux. Cette cacophonie quand je les entends, je pleure intérieurement », murmure-t-il, hanté par les souvenirs des parfums des produits de beauté, désormais remplacés par l'odeur étouffante de la promiscuité.
Un peuple déplacé : Haïti ruiné
Le rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), publié en novembre 2024, dresse un tableau apocalyptique : une augmentation de 60 % des déplacements forcés en trois mois à Nazon, 85 % des commerces détruits, 42 000 personnes fuyant Port-au-Prince chaque mois. « Ceux qui ont tout perdu sont devenus des ombres », lâche Jude, la voix brisée.
Plutôt que de chercher à reconstruire son entreprise dans un pays où la violence et l'insécurité règnent, Jude nourrit désormais l'idée de fuir. Il envisage un avenir loin d'Haïti, où il pourrait enfin retrouver la paix et la sécurité. « Peut-être qu'ailleurs, je pourrai recommencer à zéro, sans avoir une peur constante au ventre », confie-t-il avec un regard perdu. Son combat silencieux résonne comme un appel désespéré : « Aidez-nous à partir, à sauver nos vies ».
La réalité est dure, implacable, mais Jude puise sa force dans une résilience inébranlable. « Les affaires peuvent être abîmées, mais l’espoir, lui, je le serre fort dans mon cœur », conclut-il, symbole d'une jeunesse haïtienne qui refuse de se laisser anéantir par les ténèbres.
Marc Kerley FONTAL
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